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Une expérience d'inclusion en camp d'été à Boston


Ca y est, mes petits patients ont quitté la région chacun à leur tour pour des vacances bien méritées en France, dans un autre état américain ou encore à la découverte d'un nouveau pays. Afin de ne pas rester désoeuvrée pendant deux mois, je travaille dans l'une des écoles françaises de Boston en tant qu'encadrante pour un "Summer Camp", un camp d'été. Une vingtaine d'enfants âgés de 3 à 10 ans viennent chaque jour à l'école pour faire des activités et des jeux autour d'un thème, le tout en français ! Cela permet à certains d'apprendre ou de progresser en français et à d'autres de ne pas perdre leur niveau de français pendant la coupure estivale.

Il y a deux semaines, une maman est venue chercher son fils cadet, accompagnée par son fils aîné, Lucas*. En les accueillant, je me baisse pour saluer le jeune garçon, et me retrouve nez à nez avec une petite bouille ronde à lunettes bleues avec un sourire jusqu'aux oreilles. Dès que notre regard se croise, il me prend dans ses bras et me fait un gros bisou sur la joue. Lucas est un petit garçon trisomique. Je prends le temps de discuter avec sa maman et de lui donner un coup de main pour installer tout son petit monde dans sa voiture. Je lui explique brièvement mon métier qu'elle ne connaît pas, puisqu'elle est américaine. Elle me dit qu'elle aurait beaucoup aimé mettre Lucas au camp d'été car elle aimerait qu'il parle plus français, mais qu'elle n'a pas osé demandé, de peur d'imposer une contrainte à l'école et aux animateurs. Sachant que Jack*, son fils cadet était inscrit au camp pour la semaine suivante, je lui propose de parler au directeur de l'école et aux autres encadrants pour voir s'ils accepteraient de recevoir Lucas quelques heures dans la journée pendant la semaine suivante. Elle accepte avec enthousiasme. Lorsque j'explique la situation à la direction et à mes collègues, tous sont partants pour tenter l'aventure ! Un arrangement est trouvé avec les parents: pendant une semaine, nous accueillerons Lucas tous les matins pendant deux heures.

Le lundi matin, Jack et Lucas arrivent à 9 heures, accompagnés de leur maman. Elle les aide à accrocher leur sac au porte-manteau et reste une dizaine de minutes pour observer Lucas dans ce nouvel environnement. Il a été convenu que je sois la référante permanente de Lucas puisque je suis la seule personne présente à l'école ayant de l'expérience avec les enfants trisomiques.

Lucas aime jouer avec les autres enfants, il va vers eux en leur tendant un fruit en plastique, un crayon, une petite voiture ou bien un bloc de construction. Pour la plupart des enfants, il s'agit de leur première rencontre avec un enfant différent. Leurs réactions sont variés: certains observent de loin, d'autres ont peur de lui et cherchent à le fuir, d'autres encore répondent gentiment à ses demandes. Plusieurs d'entre eux me posent des questions: "Qu'est-ce qu'il a ?"; "Pourquoi il met tout dans la bouche ?"; "Est-ce qu'il comprend ce qu'on lui dit ?"; "Pourquoi il nous pousse ?", etc.

Très vite, un petit groupe de trois enfants se forme et joue avec Lucas tous les jours pendant les temps de jeu libre.

Lucas essaie de participer aux activités manuelles, il aime couper du papier et peindre, mais ne reste concentré sur sa tâche que quelques instants. Lorsqu'il en a assez d'être assis à table, il me dit "Fini !" et se lève pour aller jouer. Ensemble, nous inventons un jeu qui va devenir son jeu préféré et qui va faciliter le contact avec les enfants les plus craintifs. Il s'agit d'un jeu de "caché-coucou".

Il y a, dans la salle où nous restons, une petite alcôve dans laquelle Lucas aime se réfugier. En fouillant dans les placards, je trouve quelques cartons et un grand pan de tissu. Lorsque Lucas se cache dans l'alcôve, je le rejoins à l'intérieur et bloque la sortie avec les cartons, puis j'accroche le tissu au dessus de nos têtes de manière à créer une cabane fermée. Dans un premier temps, Lucas observe cette cabane et joue un peu avec moi à l'intérieur. C'est alors qu'intervient Ambre*, une petite fille de 7 ans, douce, curieuse et patiente. Elle joue beaucoup avec Lucas et s'intéresse à lui en me posant mille questions. Nous ayant entendus dans la cabane, elle s'approche en appelant Lucas. Il s'arrête dans son jeu, me regarde, sourit, lève ses bras, attrape le tissu au-dessus de sa tête et tire dessus en riant: le tissu glisse et nous voilà à découvert, Ambre s'écrie "Coucou Lucas !". Lucas me tend le tissu pour que je le repositionne et c'est reparti: Ambre fait semblant de chercher Lucas, il la fait patienter quelques instants en riant, puis il tire sur le tissu pour la voir. Le jeu continue ainsi pendant près de 20 minutes, Ambre est rejointe par d'autres enfants qui se mettent à leur tour à chercher Lucas. Certains le rejoignent dans la cabane et rient avec lui, notamment Olivia*, 10 ans, qui jusque là avait peur lorsque Lucas s'approchait d'elle.

Quand les enfants vont jouer dehors, Lucas grimpe immédiatement dans la structure des toboggans. Il s'assoit au sommet, enlève ses chaussures et les jette par-dessus les barrières ou les fait glisser sur les toboggans. Plusieurs enfants courent chercher les chaussures pour les lui ramener, Lucas relance les chaussures et le jeu continue ainsi de suite. Là encore, les enfants qui avaient peur de lui au début de la semaine se prêtent au jeu et essaient de le faire rire.

A la fin de la semaine, les résultats de cette expérience d'inclusion sont positifs pour tous:

- Lucas a passé une belle semaine, il s'est fait des amis, il a su s'adapter aux demandes des uns et des autres, il a progressé en français et il s'est amusé.

- Les enfants du camp d'été ont découvert le handicap, ils ont surmonté leurs craintes et leur appréhension et se sont rendus compte que Lucas était un enfant avec les mêmes envies qu'eux.

- Les parents de Jack et Lucas ont pu bénéficier de moments pour eux et ont été heureux de voir que Lucas pouvait s'adapter en milieu ordinaire.

- Les parents des autres enfants nous ont dit avoir été contents que leurs enfants rencontrent et jouent avec un petit garçon différent, cela a suscité à la maison des discussions sur l'ouverture d'esprit, la tolérance, le handicap et la différence, même avec de jeunes enfants de 4 ou 5 ans.

- Les animateurs aussi ont pu découvrir la trisomie 21 et ont pu modifier certaines fausses représentations qu'ils avaient. Nous avons également dû réfléchir et trouver les mots justes pour répondre aux questions et expliquer les choses de manière adaptée à l'âge des enfants.

*Tous les prénoms ont été modifiés.

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